Révolue Sion

Les révolutions sont toujours bourgeoises,
Donc je ne crois pas en la Révolution.
Encore trop lointaine, bien trop illusoire ;
Leur dévotion, sans cesse se veut malsaine.

Je ne vendrai pas ma force de travail pour vivre ;
Un seul esclave dans le monde et je ne suis plus libre.
Leur morale contradictoire érige de faux principes.
Je crie dictature, ils voient démocratie, partent au casse-pipe ;
Je pointe l’imposture, ils croient en une chimère.
Ils ont peur de perdre leurs possessions mensongères.
L’amertume jouit d’un goût de reviens-y …

S’avancer sous la seule autorité de l’expérience et du libre examen.
En autocratie avec moi-même, aucun dilemme ;
Ne respecte vraiment que les individus aussi vrais que moi.
Si triste que tout ceci forme un simple chemin de croix.

Quelle fumisterie, voter ne sert à rien ;
L’insurrection, régulée, ne sert à rien ;
Les syndicats, dénaturés, ne servent à rien ;
Car trop peu d’hommes avancent sur la voie du surhomme.

Le lamentable troupeau persiste et soutient la servitude volontaire ;
L’oppression ne se maintient que par la complicité des opprimés.
Par tous les moyens trouvés, à tort, nous faire taire,
Ou fausser le jeu en balayant une scientifique objectivité.

Je travaille librement, j’aime librement,
Je touche savamment l’essence de l’existence.
L’autoritarisme offre trop peu, si banal …
Je revendique l’entièreté de la vie par mon art total.

Être anarchiste c’est nier l’autorité et rejeter son corollaire économique: l’exploitation. Et cela dans tous les domaines où s’exerce l’activité humaine. L’anarchiste veut vivre sans dieux ni maîtres; sans patrons ni directeurs; alégal, sans lois comme sans préjugés; amoral, sans obligations comme sans morale collective. Il veut vivre librement, vivre sa conception personnelle de la vie. En son for intérieur, il est toujours un asocial, un réfractaire, un en-dehors, un en-marge, un à-côté, un inadapté. Et pour obligé qu’il soit de vivre dans une société dont la constitution répugne à son tempérament, c’est en étranger qu’il y campe. S’il consent au milieu les concessions indispensables – toujours avec l’arrière pensée de les reprendre – pour ne pas risquer ou sacrifier sottement ou inutilement sa vie, c’est qu’il les considère comme des armes de défense personnelle dans la lutte pour l’existence. L’anarchiste souhaite vivre sa vie, le plus possible, moralement, intellectuellement, économiquement, sans se préoccuper du reste du monde, exploitants comme exploités; sans vouloir dominer ni exploiter autrui, mais prêt à réagir par tous les moyens contre quiconque interviendrait dans sa vie ou lui interdirait d’exprimer sa pensée par la plume ou la parole.
E. Armand (1872 – 1962), Encyclopédie Anarchiste, 1911.